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Il faut tout un monde pour éduquer le citoyen du village planétaire

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  1. La formation du sens du bien public et le problème de la décision transcendantale comme condition de l’émancipation

 

Pour que cette dernière finalité se réalise, il faut, entre autres facteurs, qu’une décision inconditionnée d’émancipation régisse l'État, et que le magistrat soit effectivement animé par le sens du bien public. La fonction de cette décision est de structurer a priori et d’unifier les décisions particulières dans le sens de l’émancipation collective. La particularité du sens du bien public est de rendre le sujet sensible aux idéalités, à des abstractions, tel la probité publique, l’intérêt général, et le bien public qui peuvent alors être pour lui des mobiles d’action. A l’éducation publique, appartient le rôle d’asseoir la possibilité de cette décision inconditionnée et de développer ce sens particulier dans le peuple par l’exemplarité et par une formation esthétique appropriée. Il n’est pas déraisonnable de penser que la réalisation de ces deux conditions auraient été à même, au fil du temps, de renverser le cours de l’histoire en transformant dialectiquement les chaînes du passés en instruments de la liberté. Dans le cours de l’histoire, l’esclave, lorsqu’il en a la volonté expresse et qu’il s’en donne les moyens, ne finit-il pas par se libérer de l’oppression et par être le maître du maître ?

Le problème humain étant donc largement en question dans la situation actuelle de l’Afrique, il s’agit en effet de réaliser une révolution dans notre manière de penser et une reforme de notre manière de sentir. Vouloir l’émancipation, dans le sens plénier du terme vouloir, et adjoindre à cette révolution mentale, la sensibilité politique qu’est la pudeur ainsi qu’une capacité à éprouver immédiatement du dégout pour ce que l’entendement juge détestable constituent la condition de la fondation d’une communauté politique. Pour résister à la tentation de manipuler la constitution ou le code électoral, au vu et au su de tous, la pudeur comme éthos politique ne représente-t-elle pas le frein ultime ? Pour résister à la corruption et à la tentation de l’appropriation privée des biens publics, ne faut-il pas en effet que comprenant que ces actions sont détestables nous puissions nous en détournions effectivement grâce au fait que la simple représentation de ces actions provoque en nous une nausée salutaire parce qu’elle affecte directement notre sensibilité ? Le corrompu, qui détourne impunément les deniers publics n’est-il pas celui qui, tout en comprenant que son action est détestable, persévère dans cette voie et souhaite que toutes ses actions soient pareilles pourvu qu’il puisse en tirer profit ? Incapable de ressentir le caractère détestable et la nocivité de son action, insensible au bien public, ce qu’il ressent est qu’il est préférable pour lui de se remplir les poches ! On mesure alors combien il est important de développer cette sensibilité immédiate aux principes objectifs et aux idéalités de la Res publica, dans l’Afrique moderne. Il est indispensable de former cet habitus par l’exemplarité et par une pratique quotidienne pour sortir du cercle vicieux de l’imitation de la prédation politique, grâce à l’engagement volontaire des individus.

On ne peut rétorquer que ces médiations soient des expédients inutiles au motif que, la contradiction fondamentale de l’Afrique moderne est constituée par l’inexistence d'États et de nations véritables, qui condamne la chose publique et l’intérêt général, à demeurer des fictions. Car des peuples divers ont été réunis par la force en un territoire aux frontières arbitrairement dessinées et soumis à une logique et des intérêts étrangers. Le respect sacré de la chose publique, du bien commun qui est aussi un respect adressé à l’autre comme partenaire, dans sa différence n’est-il pas propre à susciter un sentiment d’identité et de commune appartenance, amorce de la construction d’un État représentatif des intérêts d’une communauté et de celle d’une nation ? De ce point de vue le mal endémique que constituent le détournement des deniers publics et la monopolisation du pouvoir politique qui le sert, est toujours vécu comme une agression perpétrée par un État prédateur qui apparaît aux yeux des peuples comme un ennemi dont il faut s’attacher les faveurs par le clientélisme ou bien soumettre ou fuir ! L’importance d’une révolution de la manière de penser et d’une réforme de la manière de sentir, à réaliser par des voies multiformes dont l’éducation aux beaux arts peut nous fournir un exemple, n’en apparait qu’avec plus d’acuité en Afrique.

A une conférence à l’Institut Goethe d’Abidjan, portant sur le rôle des beaux-arts dans la formation de la personne et dans le développement d’un pays, l’auteur de ces lignes eut à répondre à la question d’un auditeur sur l’utilité de la poésie qu’il considérait comme une activité parfaitement inutile dont on pouvait aisément se passer ; les efforts devant d’abord être consacré à la maîtrise de la science et de la technique. Il fut répondu à cet auditeur que la poésie est aussi indispensable au développement car, comme tous les beaux-arts, elle sert justement à développer, ce sens particulier qu’est la sensibilité aux formes pures, à l’harmonie et à beauté qui permet à l’être humain d’être affecté, touché et mobilisé par des abstractions juridiques et morale en dehors de toute contrainte externe. L’éducation artistique est en effet aussi importante que l’éducation scientifique et technologique dans un pays en voie de développement.

L’art éduque la sensibilité en l’arrachant à la tyrannie brutale de la matière et des sollicitations sensibles. En développant chez le sujet la sensibilité aux formes pures, il aide à rendre le cœur intelligent. A l’attrait naturel de l’homme envers les sollicitations matérielles qui lui procurent une jouissance égoïste immédiate, se substitue, une sensibilité aux idéalités , susceptible d’arracher l’individu à la brutalité des sens naturels et de le civiliser. Cette disposition particulière qu’est le sens esthétique aux formes pures, aux abstractions essentielles, tel l’intérêt général, le bien commun, la sollicitude pour l’étranger, est ce qui me rend capable de respecter par moi-même, sans contrainte externe, le Droit comme principe a priori et peut, par exemple, m’empêcher de détourner à mon profit, les milliards de francs dont j’ai la gestion et dont je peux m’emparer impunément. Étant capable d’une satisfaction spirituelle obtenue par le respect du bien public et de l’intérêt général, en étant indifférent aux gratifications matérielles, je deviens pleinement un citoyen et une personne capable d’exercer une magistrature publique, de servir comme simple citoyen la RES Publica. Grâce à cette sensibilité qui s’épanouit en sentiment moral ou en sens juridique, les règles du droit ou de la morale ne sont plus des représentations abstraites que mon intelligence peut concevoir sans que cela m’affecte le moins du monde ! Ici, grâce à ce sens, l’Idée juridique ou morale n’est plus un simple motif ! Elle devient un mobile d’action qui me conduit à agir effectivement. Quand ce sens se cristallise, il devient alors possible de coordonner mes décisions dans le sens de l’universalité que je maîtrise, ce qui me permet d’assumer et de dominer ma temporalité. Je suis et me conçois alors comme responsable à par entière dans l’histoire. Certes il y eut des monstres doués d’un sens esthétique et tout revient finalement à la liberté pratique et au choix transcendantal. Mais c’est à travers ce sens seul que parvient à s’opérer la synthèse entre l’universel et le particulier sous l’impulsion de la liberté.

Le nihilisme et le cynisme politique érigent l’intérêt personnel particulier en seule réalité absolue. Ils considèrent, a contrario, que l’universel et l’intérêt général, sont de pures fictions ! Certes ce sont toujours des individus aux prises avec leurs existences particulières, leurs envies, leurs désirs, leurs passions, qui sont chargés de prendre en charge l’universel, de le réaliser dans des conditions concrètes toujours particulières et même quelques-fois singulières. De cette situation de fait, provient le danger de la subordination de l’universel au particulier et aux fins personnelles, dans le cadre de l’existence collective politique. La victoire de l’universel, de l’intérêt général, du bien public par exemple, sur les intérêts personnels égoïstes est donc toujours, de la part de chaque personne, le résultat d’une lutte constante et d’une victoire continuelle, interminablement reprise sur soi-même. C’est en face de cette impuissance des principes pratiques abstraits, dont l’effectivité requiert nécessairement l’adhésion de l’individu, que l’importance du sens de l’intérêt public, apparaît avec acuité. Car, c’est par le libre engagement de la personne du sujet particulier, fondé sur une conviction politique inébranlable quasi religieuse, engagement subjectif par lequel l’idée pratique abstraite devient mobile concret d’action, que l’universel parvient à s’incarner dans l’histoire.

Au-delà du problème de l’existence d’un État légitime en lequel les peuples se reconnaissent véritablement, cette maturation progressive de la personne, que les religions civiles et l’art traditionnels servaient, d’une certaine manière, à bâtir et que des évènements traumatiques tels l’esclavage et la colonisation et l’aliénation moderne peuvent briser , est-elle en question dans la tendance qui est la nôtre, dans l’Afrique moderne à n’avoir aucun sens du bien public et à fuir nos responsabilités dans les actions ?

La dénonciation constante de la France et des puissances étrangères, lors même que nous agissons concrètement pour affermir leur emprise résulte-t-elle de cette perte de l’estime de soi ? Provient-elle de cette incapacité à se regarder soi-même et se saisir comme initiateur et acteur sur la scène de l’histoire du monde ? Si la dénonciation constante de l’étranger doit être diagnostiquée comme traduisant le symptôme d’une affection, elle manifeste une crise évidente de confiance en soi qui s’exprime notamment dans la lubricité politique, dérivée de la concupiscencia dominandi.

La lubricité politique, cette affection particulière qui résulte de la perte de l’estime de soi, générée par les traumatismes de l’histoire, la traite négrière et la colonisation pousse le sujet atteint à sortir de l’anonymat à la disparition de la puissance tutélaire, figure du père, et à occuper l’espace public des affaires de la cité en recherchant une ivresse et une jouissance presqu’érotique dans la monopolisation du pouvoir et le détournement des biens publics, forme maladive de reconnaissance et d’affirmation de soi. A l’opposé de cette lubricité politique existe une passion amoureuse politique véritable dont le peuple et la nation sont l’objet, dans laquelle la jouissance personnelle et la plénitude s’obtiennent dans l’acquittement quotidien des devoirs citoyens et dans le service du peuple dont sont capables ceux qui parviennent à se vaincre eux-mêmes et à produire en eux ce sens moral et juridique particulier qu’est le sens du bien public et de l’intérêt général.

Le retour critique sur nous-mêmes ainsi que la décision transcendantale de modifier le cours de l’histoire dans le sens du progrès, sont la condition de possibilité ultime de la victoire sur l’aliénation, en Afrique . Le cours mécanique des choses, ne saurait nous y conduire. Une impulsion décisive des volontés individuelles, une initiative inconditionnelle de la liberté, est le préalable pouvant permettre, effectivement, de briser le cours des compromissions et démissions du passé, de changer la logique irradiant les infrastructures de la domination héritées du passé, de construire de nouveaux systèmes autonomes susceptibles de promouvoir l’émancipation des peuples. Le préalable à l’efficience du projet de d’émancipation consiste, pour tout être humain, en une victoire sur soi-même, qui arrête la dynamique de la servitude intérieure ; qui empêche de substituer à l’oppression étrangère, une oppression endogène, d’autant plus redoutable, qu’elle est exercée par soi-même sur soi-même et qu’elle se dissimule d’autant plus facilement qu’elle utilise l’histoire pour se camoufler sous l’évidence de la domination étrangère, tout en étant la courroie de transmission de cette domination.

Comment pouvoir se libérer en effet de la domination étrangère quand on est soi-même l’intermédiaire qui la porte au cœur de notre propre être ? Comment échapper au danger de l’asservissement par un État étranger quand l'État qui est censé assurer notre sécurité nous plonge au quotidien dans le danger et l’insécurité ? Comment se libérer de l’exploitation quand on s’exploite soi-même ? Comment s’affranchir de l’oppression quand on est soi-même son propre oppresseur ? Comment échapper à l’esclavage quand on est mis en esclavage par soi-même ! Comment se libérer des chaînes quand on est soi-même ses propres chaînes ?

Ainsi, nous sommes prisonniers de l’engrenage infernal de la servitude intérieure volontaire, de la soumission volontaire à la loi des membres qui commence l’histoire humaine et que masque toujours une puissance oppressive extérieure qui n’en est que l’incarnation extérieure  et le symbole! Nous répétons inlassablement l’oppression endogène générée par la corruption originaire de la liberté humaine, source de l’asservissement dont l’individu ne se libère qu’en se découvrant lui-même comme le détenteur de la force qui asservit e t qui libère et en donnant, délibérément le pas sur cette dernière, par un acte de volonté ,dans la décision inconditionnée.

La résiliation volontaire de ce contrat avec la servitude et avec le principe de l’instrumentalisation de sa propre personne, mis en pratique par la traite négrière l’esclavage, la colonisation et les Indépendances, où les États asservissent les peuples, où les chefs asservissent leurs dépendants, où les lettrés asservissent illettrés, où les villes asservissent les villages, où les citadins asservissent les campagnards, où les riches asservissent les pauvres, où les hommes asservissent les femmes, les adultes les enfants, les familles les servants et les servantes, cette libération contre soi-même constitue le préalable à l’émancipation de l’Afrique.

A défaut de réussir la gageure que constitue la libération contre soi-même, l’histoire risque de se répéter indéfiniment. De même que la division et servitude intérieures facilitèrent la conquête coloniale durant laquelle des peuples se jetèrent dans les bras d’oppresseurs étrangers espérant se libérer de la prédation intérieure, de même l’oppression politique et économique intérieure de nos jours , risque de conduire, à nouveau , les peuples à choisir l’aventure de la servitude étrangère sous la forme de la domination des firmes multinationales et des États impériaux étrangers. Certaines voix ne s’élèvent-elles pas déjà en Afrique pour en appeler à la mise sous tutelle de certains États africains par des organismes internationaux, espérant arrêter, par ce biais, la dynamique vicieuse et perverse de l’oppression endogène ?  Mais cette prise de conscience de la source ultime de l’aliénation par les peuples d’Afrique ne constitue-t-elle pas déjà, en soi, un signe d’espoir ?

Dieth Alexis

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