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De quelle France s’agit-il ?

La découverte des causes endogènes du problème de l’aliénation en Afrique.

 

  1. Le rôle des causes internes dans l’explication des phénomènes historiques

L’esprit humain tend naturellement à maîtriser les phénomènes et événements temporels qu’il affronte en cherchant à en déterminer les raisons externes, en reliant les phénomènes aux causes externes dont ils sont les effets. Le phénomène de la colonisation et de la domination économiques et politique des pays africains par les États capitalistes occidentaux semble donc cautionner notre tendance à rechercher les causes du mal être africain à l’extérieur de l’Afrique, à identifier les fondements de l’aliénation en Afrique hors d’Afrique. Situer la source de tous nos maux en Europe occidentale dans le cercle des puissances impérialistes et des colonisateurs d’antan, apparaît ainsi comme étant une attitude fondée en raison, une explication causale sensée et crédible du sous-développement continuel en Afrique. Après la seconde guerre mondiale, l’affrontement des blocs qui s’opérait par l’intermédiaire d'États clients du tiers-monde interposé, a justifié la thèse de la responsabilité des puissances étrangères dans l’explication de l’aliénation économique et politique de l’Afrique ; thèse renforcée ensuite, après la fin de la guerre froide, par le maintien des pré-carrés et des sphères d’influence qui structurèrent la colonisation et suivirent les indépendances.

Cette première interprétation apparemment objective et convaincante des faits s’avère cependant quelque peu superficielle. Car, dans le domaine des phénomènes produits par les actions et interactions humaines, dont les évènements historiques font partie, les causes externes phénoménales influencent mais ne déterminent jamais l’apparition des effets. Une explication par les causes externes semble donc forcément parcellaire et incomplète.

Il faut faire intervenir, en plus, un autre type de causalité : la causalité interne qui intègre dans la série des causes, la spontanéité humaine, la liberté, le pouvoir que l’homme possède de prendre des initiatives, de commencer quelque chose de lui-même dans le temps indépendamment de toute contrainte externe. Dans l’histoire, le dernier mot de revient donc toujours aux causes internes relevant des diverses décisions de tous les protagonistes engagés dans l’action. Ce sont ces décisions, ces engagements personnels, qui déterminent l’apparition des phénomènes. Il faut donc appréhender le phénomène historique de l’aliénation africaine sous l’éclairage de la responsabilité agissante de tous les acteurs qui concourent à l’avènement de ce phénomène spécifique. Invoquer les contraintes externes liées au passé, et les multiples maillages matériels, économiques , financiers et politiques de l’ordre colonial ainsi que la mainmise du capitalisme multinational mondial , qui réduisent à néant toute entreprise d’autonomisation et de développement apparaît, dans ce cas, insuffisant pour expliquer les maux multiformes dont souffre l’Afrique aujourd’hui.

On ne doit pas ici oublier qu’après les Indépendances africaines, résultant des diverses luttes populaires, syndicales, politiques, et dans plusieurs cas, des guerres de libération nationale, les nationaux prirent en main les clefs de leurs destins par la gestion de l'État ; par la nationalisation subséquente de l’administration, de la fonction publique, et des secteurs supérieurs de l’économie, du commerce et des finances. Cela signifie précisément que des nationaux prirent le contrôle de tous les ressorts internes du pouvoir économique, social et politique. Ils eurent donc pleinement la responsabilité de construire le présent et l’avenir des États africains indépendants. Aujourd’hui à l’approche du cinquantenaire des Indépendances africaines, le bilan souvent calamiteux des gouvernants africains ne peut être mis exclusivement sur le compte de la responsabilité des puissances coloniales. La désorganisation des sociétés et la déculturation auraient pu être réparées par une politique volontariste de réorganisation fondée sur la réappropriation culturelle des instruments de la modernité qui aurait permis d’y inscrire délibérément l’Afrique. L’aliénation aurait pu être surmontée par l’adoption d’une organisation du champ politique fondée sur l’idée de pluralité ainsi que par celle du principe de l’autonomie et de la responsabilité comme éthique politique.

Or, sous l’influence des conditions externes et pour des raisons déterminantes personnelles internes, nous avons choisi délibérément de reconduire et d’accompagner les mécanismes de l’aliénation coloniale. Cinquante ans après les Indépendances ne sommes nous pas, en effet, devant ce scandale absolu ? Les élites politiques et chefs d'État africains se sont financièrement enrichis, certains, figurant au palmarès des personnalités les plus riches du monde, tandis que dans la totalité des États africains les populations autochtones végètent dans la pauvreté absolue !

En tout état de cause, les indépendances furent suivies par l’instauration de partis uniques censés être les médiations indispensables au développement des nouveaux États. Mais une mauvaise articulation de la tradition et de la modernité, entre autres causes, condamna le développement à l’échec. Les partis uniques évoluèrent vers des structures totalitaires détruisant l’émergence de sociétés civiles. Les économies furent les monopoles des États et des couches dirigeantes. La collaboration avec les puissances des deux blocs et le service de leurs intérêts, garant de la conservation du pouvoir par les élites politiques locales, tinrent lieu de principe politique tout au long de la guerre froide. Est-il d’ailleurs insensé de penser, que dans ce contexte, une stratégie de conservation du pouvoir par les couches dirigeantes, ait pu entrer, pour une part non négligeable, dans les causes de la précarité économique et sociale des populations autochtones des États en Afrique ? Ne pourrait-elle pas constituer, entre autres , une explication plausible, aussi bien du caractère pléthorique des administrations africaines que de la précarité dans laquelle vit les couches productives et le monde paysan ? Des questions légitimes peuvent être posées sur la concentration du secteur du commerce dans les mains des non-nationaux, des Levantins et Indiens entre autres, dans la plupart des États africains ? Ne peut-on pas penser que cette étrange absence des nationaux, qui ne furent guère encouragés à s’engager dans ce secteur, relève d’une stratégie politique de monopolisation du pouvoir, qui eut cours, comme le soulignent les historiens, dans certains royaumes et États pré-coloniaux où le commerce, source d’accumulation de richesse donc de pouvoir, fut en général réservé aux étrangers et interdit aux sujets pour empêcher l’émergence de pôles de pouvoir concurrent ? Au-delà de l’imitation du modèle métropolitain du service de l'État par le fonctionnariat, du caractère attractif du mythe du fonctionnaire, est-il déraisonnable de soupçonner que la fonctionnarisation massive des intellectuels et des scolarisés ait été un moyen commode de les installer dans la dépendance et la précarité financières, et de canaliser ainsi leurs énergies vers la résolution des problèmes quotidiens de survie , en raison de la modicité des salaires de l’administration ? Quant à la nécessité d’assurer le fonctionnement de l’administration et de financer le développement qui finalement n’eut pas lieu, suffit-elle à expliquer les ponctions financières qui installent les classes productives et le monde paysan dans la pauvreté ? Ne pourrait-on pas, aussi, intégrer, dans une stratégie moderne de gestion et de monopolisation du pouvoir, le gaspillage des capitaux dans des dépenses économiquement stériles et le mode de vie ostentatoires, qui constituaient , déjà dans l’Afrique pré-coloniale, un rite d’affirmation symbolique du pouvoir ?

En tout état de cause, si l’on ne peut nier que des efforts réels de développement et de modernisation furent faits dans des pays, la corruption et l’ostentation prirent cependant, partout en Afrique, des proportions endémiques après les Indépendances et ne s’arrêtèrent pas avec la fin de la guerre froide. La corruption brisa le triple objectif qui justifia l’adoption du parti unique : consolider une nation en construction en unifiant les partis et les groupes ethniques à l’intérieur du territoire de l'État naissant ; construire un État capable de gouverner cette nation et mettre en œuvre le développement économique. Le détournement des deniers publics, des choix non pertinents d’axe de développement et les priorités accordées aux projets économiquement stériles mais juteux en terme de gains personnels particuliers pour les parties impliquées dans les transactions, détruisirent la construction de la base économique sur laquelle devait s’édifier l’unité nationale. L’indifférence à l’intérêt général et l’appropriation privée du bien public, démolirent l’édification naissante d’un sentiment de commune appartenance, fondé sur une communauté d’intérêt dont l'État se devait d’être le garant. L'état fut ainsi dès l’origine dé-crédibilisé dans sa fonction consistant à gouverner une nation dans le sens de la production et de la sauvegarde du bien public. Les services publics devinrent alors pour les communautés concurrentes, dans un contexte où les activités commerciales et entrepreneuriales étaient en général réservées à quelques communautés minoritaires et aux Blancs, les meilleures voies d’accès à la richesse et à l’accumulation du capital. Instrument permettant de détenir le pouvoir, l'État devint alors une source de conflit et un objectif ultime de lutte dont les communautés ethniques en concurrence veulent s’emparer et s’en assurer l’exclusivité. Il se mua alors en un appareil de monopolisation du pouvoir et de répression des contestations. Après la chute du mur de Berlin, la démocratie et le multipartisme furent instrumentalisés et mis au service de la passion politique, et familiale qui permit d’instaurer des successions dynastiques de père en fils. Une démocratie de façade où , le clientélisme, la manipulation des Constitutions et des élections, assortie de la répression souvent sanglante des contestations, tiennent lieu de principes, remplaça comme mode d’appropriation, de gestion et de perpétuation du pouvoir, les dictatures directes et les coups d'État . Les nouvelles élites politiques, à quelques exceptions près, se coulèrent dans ce moule et reprirent, à leur profit, ce principe de l’asservissement endogène. La prédation d'État et la corruption, l’appropriation privée des biens publics, l’indifférence à l’intérêt général et à la probité publique continuèrent de représenter l’ethos politique des couches dirigeantes. Dans ce processus continu, l’on peut penser que le développement économique social et politique des États, fut, en fait, un objectif largement secondaire. L’insatiable ivresse du pouvoir, l’âpreté personnelle au gain, l’enrichissement crapuleux des classes politiques ne le supplantèrent-ils pas ?

Faut-il alors privilégier dans la série des causes explicatives de l’aliénation, la responsabilité interne des dirigeants politiques ? Pour plusieurs raisons et pour certains, cette responsabilité interne n’est cependant pas évidente. En effet, la pression exercée par les intérêts du capitalisme mondial sur les États nouvellement indépendants d’Afrique et le déséquilibre des forces en présence ne conduisent-ils pas à atténuer le rôle de la vénalité des hommes au pouvoir et celui de la préservation de leurs intérêts particuliers ? Mais le rejet pratiquement instinctif du paramètre de la responsabilité endogène, dans les données de l’analyse, rejet qui opère comme une dénégation dans le mécanisme du refoulement psychanalytique, ne nous oblige-t-il pas à soupçonner que la source purulente du mal africain  s’y trouve?

On continue cependant d’incriminer le déterminisme externe. L’explication se focalise sur le rôle des protagonistes extérieurs. On insiste sur le rôle des interventions extérieures, des actions secrètes des ex-colonisateurs pour expliquer la mauvaise gouvernance, les répressions étatiques des révoltes populaires à la suite d’élections truquées, les manipulations des constitutions à des fins électoralistes, les détournements de deniers publics. La France, en est toujours responsables, pour les uns ; la Grande –Bretagne, pour les autres ; la Belgique, pour certains ; le Portugal, pour d’autres !

Cette opiniâtreté qui trahit une certaine obsession et une uni-latéralité dans la désignation du coupable, souvent orchestrée par des pouvoirs établis, rend nécessaire un questionnement pour tenter d’y voir clair ; un questionnement destiné à nous permettre de dénouer l’écheveau complexe de la responsabilité des acteurs impliqués dans la genèse de l’aliénation africaine, de dévoiler clairement le visage dissimulé de l’auteur incriminé des méfaits.


 

 

  1. Qui est la Françafrique ?

Selon une tradition bien établie, la françafrique est toujours stigmatisée comme étant la source des maux économique et politique de l’Afrique. Certes, l’existence de la françafrique est une réalité incontestable dûment prouvée. Ses interventions ne font pas l’ombre d’un doute. Mais qui est cette françafrique ? Quelle est cette France secrète des réseaux qu’on accuse dans toutes les crises africaines ? Est-elle toute la France ? Est-elle le peuple français au nom duquel l'État français exerce le pouvoir ? Est-ce le parti au pouvoir dans l'État français ? Est-ce l’ensemble des partis politiques auxquels sont, d’ailleurs, affiliés la plupart des partis politiques africains ? Récemment d’ailleurs, comme le firent remarquer les quotidiens et périodiques, certains politiciens et chefs de gouvernement africains ne se coalisèrent-ils pas pour exiger et obtenir d’un chef de gouvernement français l’éviction d’un ministre français qui demandait solennellement la fin de la Françafrique ainsi que l’instauration de nouvelles relations fondées sur le respect des intérêts réciproques des peuples ? La françafrique est-elle donc le gouvernement français allié à certains gouvernements africains ? Est-ce l'État français  soumis dans sa politique intérieure au principe du respect de l’intérêt public, de l’intérêt général du peuple français, qui s’efforce, sous la vigilance constante du peuple souverain, de gouverner la France dans le respect scrupuleux du bien-être général de la nation française ? Serait-ce donc cet État, formellement préoccupé de l’intérêt général dans les limites de ses frontières, qui n’hésite pas à hors de ses frontières, à utiliser, dans sa politique étrangère, tous les moyens pour défendre son intérêt national ? Cet État, héritier d’une Révolution de portée mondiale dont s’inspirent tous les peuples épris de liberté est-il celui qui colonise et soumet sans vergogne des peuples étrangers en vue du maintien et de la perpétuation de ses intérêts supérieurs ? Est-il celui qui fomente des rebellions et soutient des tyrannies et des dictatures hors de ses frontières, dans les pays d’Afrique, pour conserver ses intérêts commerciaux, financiers et politiques ? Sont-ce, à l’intérieur de cet État qui les soutient et avalise leurs actions, les corporations, les groupes d’intérêts économiques, et les Firmes qui conquièrent, par des rebellions télécommandés, par le renversement de pouvoirs réfractaires ou l’installation de pouvoirs dociles, par la corruption active des politiciens locaux, des secteurs d’influence et des marchés servant leur expansion dans la concurrence mondiale ? La françafrique agissante est-elle en Afrique, la main secrète de l'État français opérant pour son expansion impériale ou la main de l’action privée des firmes et lobbies économiques et financiers agissant pour leurs intérêts marchands transfrontières , au besoin, au détriment des intérêts politiques de l'État français ? Ou est-elle la coalition de l’action publique de l'État et de l’action privée des corporations et des firmes particulières ?

Si toutes les réponses à ses questions étaient positives, y-aurait-il à redire ? Cette vaste entreprise multiforme de domination impériale est-elle moralement et juridiquement condamnable ?


  1. La domination impériale de l’Afrique comme faute juridique et morale et la question de la responsabilité.

Nous devons répondre qu’elle l’est au nom du principe juridique ultime de la souveraineté des États constitués et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes qui frappe d’illégalité toute action de domination politique et de subversion extérieure exercée par un État ou des groupes économiques étrangers sur un autre État. Cette condamnation morale et juridique se prononce aussi au nom des intérêts d’une communauté cosmopolitique à construire, qui voudrait, que le bien-être universel d’une communauté humaine réconciliée, s’accomplisse par le soutient actif, que les États de droit déjà constitués, doivent apporter aux peuples engagés dans l’édification de cette structure politique. Car il va de soi qu’il est aussi de l’intérêt d’un État de droit d’avoir à ses frontières un autre État de droit qui aide à garantir sa propre sécurité et sa souveraineté. Il est de l’intérêt des États les plus puissants de respecter la souveraineté des États constitués moins puissants ou plus faibles et d’entretenir avec eux des rapports équilibrés, de respect , d’égalité et de justice, dont la synergie, favorise le développement et le bien-être réciproque de la totalité des peuples qui constituent la communauté humaine universelle. Le pragmatisme raisonnable et sensé, recommande cette formation d’un monde unifié par le droit, structuré par le principe de la réciprocité des intérêts et élargi aux limites de l’univers humain en sa totalité. Et cette vérité prend toute sa mesure à l’époque de la mondialisation aux frontières transnationales. Certes des avancées significatives sont faites sur le très long chemin conduisant à l’institution effective d’une communauté cosmopolitique mondiale, dont témoigne l’institution d’une cours pénale internationale et d’organismes internationaux de régulation. Mais la progression vers une communauté cosmopolitique universelle est un cheminement infini, une quête au cours de laquelle les États, dans leur rapport réciproque, agissent selon le principe de la conservation égoïste de soi. C’est à l’aune de cette conservation de soi et à celle de la défense de leurs intérêts souverains, dans le contexte de cet état de nature juridique, que la responsabilité des États semble, en effet , se mesurer.


  1. L’état de nature juridique comme contexte actuel des relations internationales

En attendant que la sagesse des nations soit le principe cardinal de la politique étrangère des États, afin que le monde évolue vers cette communauté cosmopolitique, l’état de nature juridique prévaut donc encore de nos jours entre les États qui poursuivent obstinément chacun, avec l’assurance d’un somnambule, leurs intérêts particuliers au détriment des uns et des autres. Des entités collectives se sont constituées comme des particularités conscientes d’elles-mêmes dans le nationalisme, sur la scène du monde où, poursuivant chacune leurs intérêts particuliers, elles s’affrontent pour s’affirmer et se reconnaître dans un rapport de domination et de servitude. Tel est rapport conflictuel historique, entre États et États-nations, qui définit les relations internationales encore au 21ème Siècle.

Telle firme étrangère, élément d’une société civile, agissant selon le principe de la particularité et poursuivant son intérêt particulier vital qui est son expansion et la maximisation de son profit, ne reculera pas devant l’utilisation de l’arme de la corruption active de magistrats étrangers, devant l’utilisation de la rébellion armée avec la complicité rémunérée d’un général de l’armée local, pour soutenir son expansion. Telle Puissance ou Superpuissance, n’hésitera pas, à circonvenir des politiciens d’un État étranger, pour obtenir la complicité d’un État-client qui sert son expansion et ses intérêts géostratégiques. Dans le contexte de la continuité de ces rapports inter-étatiques de domination, de sphères d’influence et de concurrence internationale, les firmes, opérateurs économiques d’envergure, politiquement influents, ont toujours le soutien, implicite ou ouvert, constant de leurs États respectifs par le relais des groupes de pressions et des lobbies.

Dans cette situation historique qui est celle, de l’état de nature juridique entre les divers États, fondée sur le principe de la loi du plus fort, dont témoigne la faiblesse insigne des régulateurs de l’ordre international, il semble que, les rapports de domination entre États souverains qui décident par eux-mêmes du choix des moyens convenant à la réalisation de leurs intérêts supérieurs et l’expansion mondiale déréglementée des multinationales, soient implicitement tolérés, au nom de la raison d'État et au nom de la liberté d’entreprise et son principe, la maximisation du profit qui régit libéralisme triomphant. Dénonce-t-on sans raison, souvent , l’impuissance et l’hypocrisie de la communauté internationale, qui se nourrissent des divers positionnements stratégiques et tactiques des États selon leurs intérêts supérieurs lors des crises internationales  ou intra-étatiques ?

Quelle force et quelle justification pourrait empêcher un État de droit, souverain, X qui est formellement et juridiquement au service de son peuple, de réaliser ses intérêts économiques financiers et politiques, en dominant un État souverain Y , dont les magistrats corrompus, avides de pouvoirs multiformes et poursuivant leurs stricts intérêts personnels au détriment de celui de leur propre peuple, acceptent volontairement contre rétributions et pots de vin de mettre le pays dont ils ont la charge en coupe réglée ? Quelle juridiction internationale pourrait sanctionner une multinationale, ou pourrait l’empêcher de vendre un projet financièrement juteux concernant une sphère de prestige parfaitement inutile, relativement aux besoins concrets des populations, à des politiciens avides d’ostentation qui perçoivent de surcroît un gros pourcentage sur l’attribution du marché ?

L’ultime rempart des pouvoirs africains et des peuples, contre la domination étrangère et la rapacité des multinationales, demeure donc leur véritable légitimité, actualisée dans une volonté active d’émancipation, elle-même fondée sur une conviction intérieure qui érige le bien public et l’intérêt des peuples dont ils conduisent le destin, en réalité sacrée. Aucune révolution externe armée, aucune rébellion remplaçant un pouvoir par un autre, aucune élection démocratique substituant légitimement le gouvernement d’un parti à un autre, aucun mécanisme et artifice purement externe ne pourra y parvenir sans cette indispensable médiation interne que constitue la révolution de la mentalité qui repose en dernière instance sur le consentement intérieur à l’initiation d’ une autre histoire. L’histoire elle-même n’atteste-t-elle pas de l’efficience de cette pression décisive de l’acte de volonté ? Devant la loi d’airain régissant la logique d’expansion économique, financière et politique des États, les uns au détriment des autres, dans le contexte de l’état de nature juridique, les récriminations sont vaines. La dénonciation et les condamnations purement formelles des actions de la France ou de la françafrique, qui opère souvent avec la collaboration active d’autochtones et de politiciens locaux ne sont que pures vanités ou au pire stratégie de camouflage de la prédation locale d'État.


  1. Le facteur de la responsabilité endogène dans l’aliénation ou dans l’émancipation africaine

Ainsi, loin de légitimer l’exploitation internationale et la loi de la domination du plus fort, la description de cette situation de fait, dans laquelle les groupements humains existent concrètement dans l’histoire, en l’absence de l’existence d’une réelle autorité commune administrant universellement le droit , oblige à porter le regard sur la responsabilité de ceux qui conduisent le destin des peuples en Afrique, quant à leur émancipation et à leur asservissement, en tant qu’administrateurs des États. Ainsi se dévoile peu à peu le visage de l’auteur incriminé de l’aliénation africaine. Il est celui de ceux qui conduisent le destin des peuples africains sur la scène de l’histoire et qui agissent historiquement en décidant. Il est celui du politicien africain corrompu, celui de la maxime de la satisfaction de l’intérêt personnel égoïste et de l’asservissement érigés en règle de conduite quotidienne ainsi qu’en principe de politique intérieure !

En effet malheur, donc dans ces conditions, aux peuples qui n’ont pas encore réalisé le contrat social en leur sein ! Malheur aux peuples orphelins qui ne sont pas encore parvenus à fonder un État-nation de droit ! Malheur aux peuples dont les princes mangent dès le matin ! S’attablent dès le lever du jour pour festoyer toute la journée ! Malheur aux pays régis par la politique du ventre ! Malheur aux pays corrompus dont les princes sont corrompus et dont le plus droit a la droiture d’une épine ! Leur démesure et leur amour immodéré des biens matériels de ce monde les conduiront à en jouir, sans discernement, comme des brutes et à s’allier aux puissances extérieures en vue de leur propre oppression ! Victimes de leur propre servitude intérieure et de leur démesure ils seront la proie des forces de désintégration ! Ils auront d’autant plus de mal à se libérer de l’oppression externe, qu’ils auront du mal à discerner qu’ils sombrent sous le poids de leur propre inertie ! Tout à la recherche de l’ennemi ou du messie salvateur hors d’eux-mêmes, ils dénonceront ; tour à tour, les anciens colonisateurs et les puissances étrangères, la France, la Grande-Bretagne, la Belgique, le Portugal, les États-Unis et tous les pays d’Europe occidentale et du Nord. Ils voudront s’allier à des pays de tradition impériale et néo-coloniale, contre d’autres de même nature, tout en dénonçant l’impérialisme et le néocolonialisme. Ils préféreront s’exprimer en anglais ou en arabe en lieu et place du français, ou vis versa, pour clamer leur autonomie reconquise par rapport à l’ancienne puissance tutélaire. Ils traduiront leur nationalisme militant en s’exprimant dans une autre langue étrangère, au lieu de s’exprimer dans une langue nationale autochtone, construite par leur soin et définissant une vision du monde pour édifier une nouvelle nation. Ils feront du chantage et vendront les marchés publics à d’autres puissances étrangères pour exprimer leur colère et leur indépendance. Ils voudront s’allier à la Chine à l’Inde, aux Russes, aux monarchies pétrolières du Moyen-Orient qui comme tout État, poursuivent la réalisation de leurs propres intérêts particuliers et non celui de leurs partenaires. Ils vendront leurs terres aux plus offrants pour finir par se rebeller lorsque viendront les désillusions ! Ils en voudront à la terre entière et jamais à eux-mêmes ? Ils se sentiront justifiés par l’histoire, en raison de la traite négrière et de la colonisation, dont nos ancêtres et même certains de nos contemporains, pour ce qui est de la colonisation, furent cependant des acteurs à part entière, comme l’a fait incontestablement ressortir, la recherche historique. Leur responsabilité, qui atteste de leur force et de leur capacité à agir, à commencer quelque chose de neuf, à faire l’histoire en bien ou en mal, leur demeurera, pour leur propre malheur, cachée. Pouvoirs à la légitimité douteuse, avides de numéraires, ils spolient par les détournements de fonds publics des communautés entières. Ils désapproprient des peuples entiers dans des opérations foncières douteuses dans lesquelles les capitaux récoltés sont prestement détournés et mis à l’abri dans des banques étrangères ou gaspillés dans l’ostentation ! On vend de nos jours de plein gré la terre d’Afrique à des États étrangers et à des multinationales comme nous vendîmes dans le passé des membres de notre propre peuple aux traitants négriers, aux planteurs et États étrangers !! Et comme pris d’une étrange cécité nous ne nous voyons pas agir ! Aurions-nous perdu dans ce maelström successif des traumatismes de l’histoire et dans l’accumulation des ténèbres, le chemin vers nous-mêmes, ultime voie de salut que l’homme conserve dans les enfermements les plus opaques ?

En effet, la prise de conscience, par l’homme, de sa liberté et de sa responsabilité irréductible dans l’histoire, autrement dit de sa capacité à agir, de son pouvoir d’initiative dans le déterminisme, n’est-elle pas déjà l’accès à son pouvoir de libération par rapport à toute servitude ? La capacité d’initiative dont furent les acteurs nos ancêtres qui, de Samory Touré à Behanzin en passant par Shaka et l’Asantehene, bâtirent des États endogènes et auto-centrés, en témoigne. Cette capacité d’initiative en fit justement des acteurs à part entière de l’histoire. Leur participation active à la traite négrière entrait dans le cadre des guerres d’établissements des empires et des royaumes comme il y en eut dans le monde entier. Leurs victoires, leurs résistances et leurs défaites devant l’envahisseur colonial furent les leurs. Passionnés de liberté, certains choisirent la lutte à mort tel le chef Mandume des Ovambos contre les Portugais et tel le chef Mkwawa au Tanganyika. D’autres préférant la vie dans la subordination, à la liberté dans la mort choisirent de se rallier aux Européens pour tenter de conserver leur pouvoir. Certains s’allièrent donc de gré ou de force à la puissance occupante française anglaise belge ou portugaise.

De la période des Indépendances aux alliances stratégiques avec les États capitalistes étrangers et les multinationales aujourd’hui, nous nous situons pleinement dans la continuité de cette capacité à l’action et au choix, dans la coopération intéressée, la collaboration ou la résistance, dans le choix d’un mode d’existence historique d’émancipation ou dans le sous-développement et l’asservissement économique et politique exogène ou endogène de notre propre peuple. La stigmatisation de l’action des forces extérieures d’oppression ne doit donc pas occulter notre responsabilité, nos actions et pouvoirs, de libération effective ou de coopération dans l’asservissement.

La dénonciation constante de la France et de l’impérialisme étranger comme auteurs de tous nos maux sert à dissimuler nos propres stratégies et mécanismes endogènes d’auto-asservissement et d’oppression de notre propre peuple.

Elle n’a pas lieu d’être dans la mesure où tout magistrat, lettré et éduqué dans un État moderne doit avoir conscience de son engagement en tant qu’acteur dans le choc impitoyable du conflit des États poursuivant chacun leurs intérêts particuliers au profit de leurs peuples respectifs et doit donc être au service exclusif de l’intérêt national. Cet éthos particulier doit être le principe qui constitue et unifie le corps des magistrats. Car à la thèse marxiste qui voit en l'État, un appareil de légitimation des intérêts particuliers de la classe économiquement dominante et une superstructure au service de la pérennisation de cette domination, l’on peut opposer la thèse contraire qui considère l'État comme un appareil d’administration de l’intérêt général du peuple en sa totalité : un appareil dont les magistrats sont dévoués au service du bien public.


  1. La formation du sens du bien public et le problème de la décision transcendantale comme condition de l’émancipation

 

Pour que cette dernière finalité se réalise, il faut, entre autres facteurs, qu’une décision inconditionnée d’émancipation régisse l'État, et que le magistrat soit effectivement animé par le sens du bien public. La fonction de cette décision est de structurer a priori et d’unifier les décisions particulières dans le sens de l’émancipation collective. La particularité du sens du bien public est de rendre le sujet sensible aux idéalités, à des abstractions, tel la probité publique, l’intérêt général, et le bien public qui peuvent alors être pour lui des mobiles d’action. A l’éducation publique, appartient le rôle d’asseoir la possibilité de cette décision inconditionnée et de développer ce sens particulier dans le peuple par l’exemplarité et par une formation esthétique appropriée. Il n’est pas déraisonnable de penser que la réalisation de ces deux conditions auraient été à même, au fil du temps, de renverser le cours de l’histoire en transformant dialectiquement les chaînes du passés en instruments de la liberté. Dans le cours de l’histoire, l’esclave, lorsqu’il en a la volonté expresse et qu’il s’en donne les moyens, ne finit-il pas par se libérer de l’oppression et par être le maître du maître ?

Le problème humain étant donc largement en question dans la situation actuelle de l’Afrique, il s’agit en effet de réaliser une révolution dans notre manière de penser et une reforme de notre manière de sentir. Vouloir l’émancipation, dans le sens plénier du terme vouloir, et adjoindre à cette révolution mentale, la sensibilité politique qu’est la pudeur ainsi qu’une capacité à éprouver immédiatement du dégout pour ce que l’entendement juge détestable constituent la condition de la fondation d’une communauté politique. Pour résister à la tentation de manipuler la constitution ou le code électoral, au vu et au su de tous, la pudeur comme éthos politique ne représente-t-elle pas le frein ultime ? Pour résister à la corruption et à la tentation de l’appropriation privée des biens publics, ne faut-il pas en effet que comprenant que ces actions sont détestables nous puissions nous en détournions effectivement grâce au fait que la simple représentation de ces actions provoque en nous une nausée salutaire parce qu’elle affecte directement notre sensibilité ? Le corrompu, qui détourne impunément les deniers publics n’est-il pas celui qui, tout en comprenant que son action est détestable, persévère dans cette voie et souhaite que toutes ses actions soient pareilles pourvu qu’il puisse en tirer profit ? Incapable de ressentir le caractère détestable et la nocivité de son action, insensible au bien public, ce qu’il ressent est qu’il est préférable pour lui de se remplir les poches ! On mesure alors combien il est important de développer cette sensibilité immédiate aux principes objectifs et aux idéalités de la Res publica, dans l’Afrique moderne. Il est indispensable de former cet habitus par l’exemplarité et par une pratique quotidienne pour sortir du cercle vicieux de l’imitation de la prédation politique, grâce à l’engagement volontaire des individus.

On ne peut rétorquer que ces médiations soient des expédients inutiles au motif que, la contradiction fondamentale de l’Afrique moderne est constituée par l’inexistence d'États et de nations véritables, qui condamne la chose publique et l’intérêt général, à demeurer des fictions. Car des peuples divers ont été réunis par la force en un territoire aux frontières arbitrairement dessinées et soumis à une logique et des intérêts étrangers. Le respect sacré de la chose publique, du bien commun qui est aussi un respect adressé à l’autre comme partenaire, dans sa différence n’est-il pas propre à susciter un sentiment d’identité et de commune appartenance, amorce de la construction d’un État représentatif des intérêts d’une communauté et de celle d’une nation ? De ce point de vue le mal endémique que constituent le détournement des deniers publics et la monopolisation du pouvoir politique qui le sert, est toujours vécu comme une agression perpétrée par un État prédateur qui apparaît aux yeux des peuples comme un ennemi dont il faut s’attacher les faveurs par le clientélisme ou bien soumettre ou fuir ! L’importance d’une révolution de la manière de penser et d’une réforme de la manière de sentir, à réaliser par des voies multiformes dont l’éducation aux beaux arts peut nous fournir un exemple, n’en apparait qu’avec plus d’acuité en Afrique.

A une conférence à l’Institut Goethe d’Abidjan, portant sur le rôle des beaux-arts dans la formation de la personne et dans le développement d’un pays, l’auteur de ces lignes eut à répondre à la question d’un auditeur sur l’utilité de la poésie qu’il considérait comme une activité parfaitement inutile dont on pouvait aisément se passer ; les efforts devant d’abord être consacré à la maîtrise de la science et de la technique. Il fut répondu à cet auditeur que la poésie est aussi indispensable au développement car, comme tous les beaux-arts, elle sert justement à développer, ce sens particulier qu’est la sensibilité aux formes pures, à l’harmonie et à beauté qui permet à l’être humain d’être affecté, touché et mobilisé par des abstractions juridiques et morale en dehors de toute contrainte externe. L’éducation artistique est en effet aussi importante que l’éducation scientifique et technologique dans un pays en voie de développement.

L’art éduque la sensibilité en l’arrachant à la tyrannie brutale de la matière et des sollicitations sensibles. En développant chez le sujet la sensibilité aux formes pures, il aide à rendre le cœur intelligent. A l’attrait naturel de l’homme envers les sollicitations matérielles qui lui procurent une jouissance égoïste immédiate, se substitue, une sensibilité aux idéalités , susceptible d’arracher l’individu à la brutalité des sens naturels et de le civiliser. Cette disposition particulière qu’est le sens esthétique aux formes pures, aux abstractions essentielles, tel l’intérêt général, le bien commun, la sollicitude pour l’étranger, est ce qui me rend capable de respecter par moi-même, sans contrainte externe, le Droit comme principe a priori et peut, par exemple, m’empêcher de détourner à mon profit, les milliards de francs dont j’ai la gestion et dont je peux m’emparer impunément. Étant capable d’une satisfaction spirituelle obtenue par le respect du bien public et de l’intérêt général, en étant indifférent aux gratifications matérielles, je deviens pleinement un citoyen et une personne capable d’exercer une magistrature publique, de servir comme simple citoyen la RES Publica. Grâce à cette sensibilité qui s’épanouit en sentiment moral ou en sens juridique, les règles du droit ou de la morale ne sont plus des représentations abstraites que mon intelligence peut concevoir sans que cela m’affecte le moins du monde ! Ici, grâce à ce sens, l’Idée juridique ou morale n’est plus un simple motif ! Elle devient un mobile d’action qui me conduit à agir effectivement. Quand ce sens se cristallise, il devient alors possible de coordonner mes décisions dans le sens de l’universalité que je maîtrise, ce qui me permet d’assumer et de dominer ma temporalité. Je suis et me conçois alors comme responsable à par entière dans l’histoire. Certes il y eut des monstres doués d’un sens esthétique et tout revient finalement à la liberté pratique et au choix transcendantal. Mais c’est à travers ce sens seul que parvient à s’opérer la synthèse entre l’universel et le particulier sous l’impulsion de la liberté.

Le nihilisme et le cynisme politique érigent l’intérêt personnel particulier en seule réalité absolue. Ils considèrent, a contrario, que l’universel et l’intérêt général, sont de pures fictions ! Certes ce sont toujours des individus aux prises avec leurs existences particulières, leurs envies, leurs désirs, leurs passions, qui sont chargés de prendre en charge l’universel, de le réaliser dans des conditions concrètes toujours particulières et même quelques-fois singulières. De cette situation de fait, provient le danger de la subordination de l’universel au particulier et aux fins personnelles, dans le cadre de l’existence collective politique. La victoire de l’universel, de l’intérêt général, du bien public par exemple, sur les intérêts personnels égoïstes est donc toujours, de la part de chaque personne, le résultat d’une lutte constante et d’une victoire continuelle, interminablement reprise sur soi-même. C’est en face de cette impuissance des principes pratiques abstraits, dont l’effectivité requiert nécessairement l’adhésion de l’individu, que l’importance du sens de l’intérêt public, apparaît avec acuité. Car, c’est par le libre engagement de la personne du sujet particulier, fondé sur une conviction politique inébranlable quasi religieuse, engagement subjectif par lequel l’idée pratique abstraite devient mobile concret d’action, que l’universel parvient à s’incarner dans l’histoire.

Au-delà du problème de l’existence d’un État légitime en lequel les peuples se reconnaissent véritablement, cette maturation progressive de la personne, que les religions civiles et l’art traditionnels servaient, d’une certaine manière, à bâtir et que des évènements traumatiques tels l’esclavage et la colonisation et l’aliénation moderne peuvent briser , est-elle en question dans la tendance qui est la nôtre, dans l’Afrique moderne à n’avoir aucun sens du bien public et à fuir nos responsabilités dans les actions ?

La dénonciation constante de la France et des puissances étrangères, lors même que nous agissons concrètement pour affermir leur emprise résulte-t-elle de cette perte de l’estime de soi ? Provient-elle de cette incapacité à se regarder soi-même et se saisir comme initiateur et acteur sur la scène de l’histoire du monde ? Si la dénonciation constante de l’étranger doit être diagnostiquée comme traduisant le symptôme d’une affection, elle manifeste une crise évidente de confiance en soi qui s’exprime notamment dans la lubricité politique, dérivée de la concupiscencia dominandi.

La lubricité politique, cette affection particulière qui résulte de la perte de l’estime de soi, générée par les traumatismes de l’histoire, la traite négrière et la colonisation pousse le sujet atteint à sortir de l’anonymat à la disparition de la puissance tutélaire, figure du père, et à occuper l’espace public des affaires de la cité en recherchant une ivresse et une jouissance presqu’érotique dans la monopolisation du pouvoir et le détournement des biens publics, forme maladive de reconnaissance et d’affirmation de soi. A l’opposé de cette lubricité politique existe une passion amoureuse politique véritable dont le peuple et la nation sont l’objet, dans laquelle la jouissance personnelle et la plénitude s’obtiennent dans l’acquittement quotidien des devoirs citoyens et dans le service du peuple dont sont capables ceux qui parviennent à se vaincre eux-mêmes et à produire en eux ce sens moral et juridique particulier qu’est le sens du bien public et de l’intérêt général.

Le retour critique sur nous-mêmes ainsi que la décision transcendantale de modifier le cours de l’histoire dans le sens du progrès, sont la condition de possibilité ultime de la victoire sur l’aliénation, en Afrique . Le cours mécanique des choses, ne saurait nous y conduire. Une impulsion décisive des volontés individuelles, une initiative inconditionnelle de la liberté, est le préalable pouvant permettre, effectivement, de briser le cours des compromissions et démissions du passé, de changer la logique irradiant les infrastructures de la domination héritées du passé, de construire de nouveaux systèmes autonomes susceptibles de promouvoir l’émancipation des peuples. Le préalable à l’efficience du projet de d’émancipation consiste, pour tout être humain, en une victoire sur soi-même, qui arrête la dynamique de la servitude intérieure ; qui empêche de substituer à l’oppression étrangère, une oppression endogène, d’autant plus redoutable, qu’elle est exercée par soi-même sur soi-même et qu’elle se dissimule d’autant plus facilement qu’elle utilise l’histoire pour se camoufler sous l’évidence de la domination étrangère, tout en étant la courroie de transmission de cette domination.

Comment pouvoir se libérer en effet de la domination étrangère quand on est soi-même l’intermédiaire qui la porte au cœur de notre propre être ? Comment échapper au danger de l’asservissement par un État étranger quand l'État qui est censé assurer notre sécurité nous plonge au quotidien dans le danger et l’insécurité ? Comment se libérer de l’exploitation quand on s’exploite soi-même ? Comment s’affranchir de l’oppression quand on est soi-même son propre oppresseur ? Comment échapper à l’esclavage quand on est mis en esclavage par soi-même ! Comment se libérer des chaînes quand on est soi-même ses propres chaînes ?

Ainsi, nous sommes prisonniers de l’engrenage infernal de la servitude intérieure volontaire, de la soumission volontaire à la loi des membres qui commence l’histoire humaine et que masque toujours une puissance oppressive extérieure qui n’en est que l’incarnation extérieure  et le symbole! Nous répétons inlassablement l’oppression endogène générée par la corruption originaire de la liberté humaine, source de l’asservissement dont l’individu ne se libère qu’en se découvrant lui-même comme le détenteur de la force qui asservit e t qui libère et en donnant, délibérément le pas sur cette dernière, par un acte de volonté ,dans la décision inconditionnée.

La résiliation volontaire de ce contrat avec la servitude et avec le principe de l’instrumentalisation de sa propre personne, mis en pratique par la traite négrière l’esclavage, la colonisation et les Indépendances, où les États asservissent les peuples, où les chefs asservissent leurs dépendants, où les lettrés asservissent illettrés, où les villes asservissent les villages, où les citadins asservissent les campagnards, où les riches asservissent les pauvres, où les hommes asservissent les femmes, les adultes les enfants, les familles les servants et les servantes, cette libération contre soi-même constitue le préalable à l’émancipation de l’Afrique.

A défaut de réussir la gageure que constitue la libération contre soi-même, l’histoire risque de se répéter indéfiniment. De même que la division et servitude intérieures facilitèrent la conquête coloniale durant laquelle des peuples se jetèrent dans les bras d’oppresseurs étrangers espérant se libérer de la prédation intérieure, de même l’oppression politique et économique intérieure de nos jours , risque de conduire, à nouveau , les peuples à choisir l’aventure de la servitude étrangère sous la forme de la domination des firmes multinationales et des États impériaux étrangers. Certaines voix ne s’élèvent-elles pas déjà en Afrique pour en appeler à la mise sous tutelle de certains États africains par des organismes internationaux, espérant arrêter, par ce biais, la dynamique vicieuse et perverse de l’oppression endogène ?  Mais cette prise de conscience de la source ultime de l’aliénation par les peuples d’Afrique ne constitue-t-elle pas déjà, en soi, un signe d’espoir ?

Dieth Alexis

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