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Il faut tout un monde pour éduquer le citoyen du village planétaire

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par Pascal ROY, Enseignant-Chercheur à l'Université Allassane Ouattara (Bouaké, Côte d'Ivoire)
Docteur en Philosophie et Docteur en Droit

Je commencerai mes propos par affirmer avec force qu'il est temps de réhabiliter la fraternité́ et de lui donner un sens plein et entier, dans le sillage des réflexions de Bruno MATTÉI. Les moments de crises comme ceux que nous connaissons çà et là dans le monde sont propices pour tenter de faire évoluer les mentalités. Car les crises soulignent nos limites qui, en l'occurrence, ne sont pas seulement et prioritairement des limites économiques, financières et sociales, mais des limites éthiques et spirituelles.

 

Si on veut réhabiliter la fraternité et la proposer comme catégorie politique à part entière, alors il convient de lever la confusion qui s'est installée entre la fraternité et la solidarité, faute de quoi la fraternité restera dans l'ombre de la solidarité. Voici ce qu'écrivait en 1980 un essayiste dans le journal le Monde, et qui résume bien la situation : « De tous les grands principes dont se réclame la révolution française, celui que l'on cite le moins, c'est la fraternité. On a honte de la fraternité. On évacue la honte en affectant de parler de solidarité ». Alors de quoi s'agit-il au juste dans ce débat entre les deux notions, débat qui a été très intense en France et qui a suscité de très nombreux écrits et interventions à l'assemblée nationale ? Pour aller à l'essentiel, je dirai que l'enjeu a été pour la république devenue laïque (donc en partie anticléricale à cette époque) de dévaloriser la fraternité considérée à la fois comme trop idéaliste, trop religieuse, trop vague, trop inopérationnelle. La solidarité correspond à une conception scientiste et matérialiste de la société. La solidarité s'est construite à travers une idéologie que l'on a appelé « le solidarisme ». Cette doctrine reposait sur l'idée, inspirée par la biologie et les sciences sociales naissantes que, dans une société, tous les hommes étaient liés les uns aux autres, interdépendants et qu'il fallait donc mener une politique de « cohésion sociale » nécessaire à la bonne marche et à la survie de la société. Autrement dit, il fallait imaginer et appliquer une politique sociale qui permette à chacun d'avoir au moins un minimum économique, éducatif pour rester intégré dans le corps social. Apparemment, et vue sous cet angle, la solidarité pouvait passer pour un progrès face au seul libéralisme économique.
Mais apparemment seulement, car ce qui n'est pas dit dans l'idéologie de la solidarité c'est que celle-ci est une solution qui ne remettait surtout pas en cause les fondements de la société républicaine, libérale, capitaliste, productiviste avec les inégalités, les injustices et l'individualisme qui en résultaient. La solidarité vise simplement à atténuer, à corriger ces inégalités et ces injustices mais sans les remettre en cause. La république consent à l'exploitation et la domination, la pauvreté et l'exclusion. Elle l'accepte de fait, même si on l'entend dire le contraire.
Autrement dit, la solidarité et c'est ce qui en a fait la fortune, est compatible à la fois avec la démocratie, à laquelle elle se réfère, mais aussi avec les inégalités et les exclusions qu'elle entretient et perpétue.
À ce titre, la solidarité ne relève pas de la même logique que la fraternité. Le message de la fraternité, depuis ses origines religieuses, c'est radicalement autre chose. La fraternité fait signe vers une société réellement égalitaire : égalité de droit et surtout de fait, au nom de « l'éminente dignité » de chaque être humain quel qu'il soit. Une société fraternelle est une société où les privilèges sont dissous. On pourrait définir la fraternité comme le souci de l'autre, de tout autre que soi, comme une attention inconditionnelle portée à chacun. À la différence de la solidarité politique qui est souvent abstraite, distante, ponctuelle et partielle, la fraternité se pratique dans le contact, dans une relation à hauteur du visage de l'autre. Elle reconnaît chaque personne comme différente et semblable. Différente parce que chacun est unique et semblable parce que chacun a vocation à être mon frère en humanité, frère d'une unique famille humaine. Par ailleurs, la fraternité enrichit la liberté et l'égalité. En effet, contrairement à la liberté libérale, la liberté fraternelle se sent responsable de la liberté de l'autre. Je ne suis pas vraiment libre si l'autre n'est pas libre aussi. Sans la fraternité, la liberté reste un droit à exploiter et à dominer les autres. De la même façon, l'égalité en l'absence de la fraternité fait le lit de la bureaucratie voire du despotisme et du totalitarisme. Sans la fraternité, la liberté et l'égalité finiront par mourir ou se discréditer.
On comprend donc l'enjeu qu'il y a à dégager la fraternité de la solidarité. Ce qui n'est évidemment pas le cas aujourd'hui.

Les deux concepts de Fraternité et de Solidarité ont entretenu au fil des siècles une forme de concurrence. Si la Fraternité l'a emporté dans la symbolique républicaine, c'est la Solidarité qui s'est jusqu'à présent imposée dans le discours politique et l'imaginaire collectif. Pourtant, il faut l'affirmer avec force : loin de s'opposer à la Solidarité, la Fraternité l'englobe et l'enrichit. La solidarité traduit avant tout l'engagement juridique de la société envers les plus faibles. Pour autant, contrairement à une pensée dominante depuis trente ans, la solidarité de droits ne suffit pas à faire société. C'est dire si la solidarité et la fraternité ont partie liée. Loin d'être une menace pour notre système social, la fraternité est au contraire la condition de son efficacité.

Je crois qu'il faut affirmer haut et fort que la fraternité est ce qu'il y a de meilleur pour tenter d'accomplir notre humanité errante et incertaine. C'est ce qu'avait proclamé la société mondiale en 1948 en promulguant la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme pour faire face à la barbarie dont la deuxième guerre mondiale avait été le théâtre, révélant la face la plus sombre et la plus obscure de l'humanité. Sur quoi repose la Déclaration Universelle ? On l'oublie un peu vite mais l'article 1er de ce texte rappelle l'impératif éthique majeur : « les hommes doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ». Ce qui veut dire que la fraternité doit s'imposer aux hommes. Elle est, comme l'a dit le philosophe Emmanuel LÉVINAS, « un fait originel ». Autrement dit, la fraternité n'est pas une option mais une nécessité, un impératif qui relève d'un sacré religieux ou laïque, si l'on veut que ceux qui se sont autoproclamés humains le deviennent véritablement. Les rédacteurs de la déclaration de 1948 ont eu l'intuition et l'optimisme de penser qu'il y a un potentiel humain qui doit advenir, et c'est la fraternité qui définit et circonscrit le mieux cette espérance.
Mais, bien sûr, la fraternité n'est ni spontanée ni immédiate, et il ne servirait à rien de la décréter et encore moins de l'imposer. Non, la fraternité s'apprend à travers l'éducation et la formation et c'est précisément ce que disaient les rédacteurs de la Déclaration Universelle dans le préambule de leur texte. C'est aussi ce que nous dit Martin Luther King : « Où bien nous apprendrons à vivre ensemble de façon fraternelle, ou bien nous périrons tous comme des idiots ». Il y a donc un apprentissage tout au long de la vie scolaire et non scolaire à effectuer. Par exemple déjà : dans les écoles où l'on apprendrait la coopération et l'entraide, où l'on apprendrait avec les autres, par les autres, grâce aux autres et non à côté des autres et contre les autres. Comme c'est le cas dans les écoles de nos démocraties libérales où c'est la liberté du plus fort dans un cadre de compétition précoce et féroce qui s'impose. Cette éducation à la fraternité suppose aussi des éducateurs qui sont ou tendent à devenir fraternels et cela implique un intense et persévérant travail sur soi au quotidien sur ses obscurités, sur la part la moins civilisée de nous-même.
Si la fraternité comme catégorie politique a des chances d'advenir un jour c'est parce que, à la base, la société civile c'est-à-dire les hommes et les citoyens, décideront de prendre en charge des relations fondées sur des pratiques sociales, économiques et culturelles fraternelles. Voilà, me semble t-il, un vrai défi pour nos sociétés. Y parviendrons-nous à la faveur des décennies qui vont venir ? C'est à chacun d'y répondre déjà pour lui-même et c'est collectivement que nous devons aussi répondre à la question : avons-nous assez de désir d'humanité pour vouloir un autre monde, un monde fraternel ?

En réalité, l'humanité n'a de sens que si elle renvoie à un monde que nous pouvons mettre en commun, à un univers où, animés de bonté, nous pouvons vivre dans une amitié fraternelle permettant de saisir l'autre comme un rameau de la même vigne de la vie, selon les termes d' Augustin DIBI.
Sans cette amitié fraternelle, sans cette cohabitation fraternelle, nourrie de l'attention à ce qui est fragile et menacé, que vaudraient la vie et l'action politique, sinon simplement un métal qui résonne, une cymbale glapissante ?

La fraternité ne se décrète pas et nous devons la forger individuellement mais surtout collectivement, dans une perspective républicaine...

À l'ÉCOUTE ET TOUJOURS DANS LE RESPECT D'AUTRUI...!
GOD IS GREAT...!

Pascal ROY
Enseignant-Chercheur à l'Université Allassane Ouattara (Bouaké, Côte d'Ivoire) et Consultant en RH
Docteur en Philosophie
Docteur en Droit
Médiateur dans les Organisations avec comme spécialité: Prévention, gestion et résolution de crises
Diplômé de Sciences Politiques

 

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