Contribution d'Oumou Dosso, Professeur de philosophie et de musicologie, Abidjan. Côte d'Ivoire.
Ivoirienne née en 1972, Oumou Dosso est Professeur de musique depuis 1997,Chercheuse à l'Institut National Supérieur des Arts et de l'Action Culturelle (INSAAC), Doctorante en philosophie et Chroniqueuse au quotidien ivoirien "Fraternité Matin".
Regard de femme
Relater l'émergence des grands moments fondateurs de l'Organisation de l'Unité Africaine (OUA) à l'Union Africaine (UA), interroger les sources mêmes de cette volonté des Afriques de se mettre ensemble, tel n'est pas l'objet de cette contribution, consacrée aux « 50 ans après, l'Afrique peut rebondir ». Si nous convenons avec Husserl de « l'humanité comme une unique vie embrassant hommes et peuples et liée seulement par des traits spirituels ; (...) On dirait une mer dont les hommes et les peuples seraient les vagues », alors nous devons penser, dans un afro-réalisme affranchi des afro-pessimisme (« Et si l'Afrique était maudite ? ») et afro-optimisme (« L'Afrique est l'avenir du monde »), qu'un demi-siècle plus tard, l'Afrique peut rebondir. Mais, a-t-elle déjà bondi, au sens qualitatif du terme, pour pouvoir faire le rebond allant dans le sens du bien-être des peuples africains ? Mon regard s'élancera d'un point à partir duquel la femme que je suis, née après l'ère des indépendances conquises ou acquises et n'ayant guère vécu la colonisation, constate que si l'Afrique, terme générique des Afriques, peut s'enorgueillir d'avoir offert à l'humanité des trésors culturels et sportifs, la situation des femmes y est des plus précaires. Cinquante ans après, quelle femme dans les Afriques ou pour faire court, en Afrique ?
Commençons par le verre à moitié plein. 2013 comme repère temporel, il y a eu et il y a en Afrique, des femmes chefs d'Etat, ministres, députées, générale des armées, directrices de société, prix Nobel, écrivaines, arbitres de football, mécaniciens, etc. Il y a une présence incontestable de femmes – pas des femmes, il y a une nuance – dans toutes les sphères de la vie politique, économique, scientifique, culturelle, sportive, etc. Dans l'ensemble, là où elles ont pu se hisser, les femmes ont surpassé les espoirs placés en elles. Au Libéria par exemple, la belligérance ouverte a cessé depuis l'avènement de Mme Helen Sirleaf qui est aussi prix Nobel de la paix, à la présidence de la République ; Wangari Maathai, kenyane, décédée le 25 septembre 2011, à 71 ans, prix Nobel de la paix, l'a obtenu en 2004 en marge de la politique, pour ses qualités de militante de l'environnement. En Côte d'Ivoire, Zadi Kessy Marcel, lorsqu'il était le président directeur général de la compagnie d'eau (Sodeci), a promu de nombreuses femmes parce qu'il les trouvait – les performances de la société lui ont donné raison – plus probes et travailleuses. Les compétences de celles qui ont été formées ne souffrent d'aucune suspicion mais combien sont-elles à pouvoir recevoir un enseignement, une éducation ou une formation pouvant les mettre à l'abri de certains besoins primaires ? C'est ici que le regard se tourne vers le verre à moitié vide.
S'il est vrai que depuis les indépendances, les femmes sont plus visibles, il faut craindre que cela ne s'apparente à l'art du trompe-l'œil. Quelques unes pour faire de l'esthétique dans les sphères dirigeantes, et beaucoup laissées en appendice de la vie sociétale. Les violences faites aux femmes continuent d'être endémiques et ceux qui en sont responsables sont rarement traduits en justice. Il y a comme un désintérêt pour la question de la symétrie morale ; symétrie nous enjoignant à prendre l'initiative de la reconnaissance et de la responsabilité d'autrui, en l'occurrence la femme, comme un autre soi-même. Les viols, à force d'être répétitifs, quotidiens, semblent rentrer dans la normalité. Le fléau est commun à tout l'espace africain avec une courbe exponentielle dans les zones de guerre. En Rd Congo, les chiffres avancés par les ONG sont effarants. Il y a deux ans, en 2011, des organisations de la société civile dénombraient 1152 viols chaque jour et 48 viols chaque heure ; pire, des femmes y seraient enterrées vivantes, d'autres auraient une kalachnikov enfoncée dans leur sexe. Ces actes de monstruosité ne sont pas des actes isolés car le viol est pratiqué comme une technique de guerre.
En Afrique du sud, la fréquence des viols est des plus horrifiantes. En réalité, dans de nombreux pays africains, la protection de la femme est quasi-inexistante. En Tunisie, il y a eu les épisodes rocambolesques de la violée de Aïn Zaghouen (Tunis), confrontée à ses bourreaux – deux policiers - pour « outrage public à la pudeur ». Tout cela appelle l'urgence de mettre en concordance le code pénal de nos pays avec les droits élémentaires de l'homme. Le viol est aujourd'hui classé parmi les crimes contre l'humanité et vu ses conséquences sur les victimes, il y a lieu de clarifier les textes de loi, de les rendre plus dissuasifs afin que les bandits lascifs en subissent la fermeté. Que dire des mariages forcés et précoces, de l'accès limité à l'instruction, de l'excision ?
La pénalisation des mutilations génitales féminines, les campagnes de sensibilisation pour expliquer la dangerosité de l'excision, les programmes de reconversion des exciseuses, hélas, n'ont pas encore réussi à faire baisser de façon significative le pourcentage des femmes mutilées sexuellement en Afrique. Pourquoi ? Parce que l'on est encore hésitant à punir ceux qui perpétuent cette pratique inutile, odieuse et traumatisante. En Côte d'Ivoire, où les ONG avancent le taux de 42% de femmes excisées, c'est seulement en 2012, plus d'une décennie après la pénalisation du crime qu'il y a eu la première condamnation de neuf exciseuses à un an de prison assorti d'une amende de 50000 francs CFA pour avoir mutilé une trentaine de gamines. Sur le continent, selon les régions, la mutilation va de l'ablation partielle du clitoris au sectionnement des grandes lèvres, voire, dans les cas extrêmes, à l'accolement des parties génitales internes (infibulation) laissant juste un trou pour les menstrues et l'urine.
Les mariages précoces et forcés sont encore célébrés sous le couvert d'interprétations frauduleuses des textes religieux ou des coutumes, la mixité peine encore à être intégré dans certains corps de métiers, les violences conjugales, etc. Alors, 50 ans après, nous pensons qu'il reste encore beaucoup d'eau à ajouter dans le verre, non pour qu'il déborde, mais pour qu'il puisse étancher notre soif d'être en phase avec nous-mêmes dans une Afrique moderne, qui irait mieux, beaucoup plus vite, si les femmes sont mises au cœur des politiques de développement. Il s'agit, après avoir fédéré les Afriques raciales et culturelles de voir au-delà des frontières géographiques pour tracer les courbes d'une l'humanité où les fils et filles seraient les vagues d'une même mer. Derrière l'émiettement de l'espace africain et l'engagement depuis l'OUA de ne pas remettre en cause le tracé des frontières délimitées par la colonisation, elle-même légitimée par le Conférence de Berlin, il est possible, malgré la diversité et à cause de la diversité, de construire un destin fédéral africain en accordant une place de choix aux femmes. D'établir un rapport au monde d'ethos, des liens à la vie afin que nous puissions habiter et conduire à l'achèvement de ce pour quoi nous nous sommes mis ensemble pour vivre-ensemble.
Entre afro-optimisme et afro-pessimisme, un demi-siècle plus tard, il est temps d'être dans le juste milieu. Sans défaitisme ni fanfaronnade, l'afro-réalisme s'impose désormais à nous. Il faut sortir du paon-africanisme, de l'africanisme m'as-tu-vu en traçant les sillons d'un panafricanisme qui ne sera plus un slogan pour intellectuels en mal d'audience ou un terreau pour toute sorte d'excentricités mais une œuvre de construction commune ; une volonté manifeste de fédérer nos différences, d'assembler nos ressemblances afin de faire du berceau de l'humanité, ce continent qui ne ploie plus sous les faix de ses contradictions. Nous avons beaucoup de terres arables mais la faim semble avoir trouvé chez nous un lit douillet ; nous ne fabriquons pas d'armes à feu mais nous sommes des abonnés fidèles de conflits où nous en utilisons beaucoup ; nous prônons la solidarité mais nous reconduisons des ressortissants africains hors de nos frontières, etc. Si nous acceptons de trouver des solutions à ces aberrations, il nous faudra moins de 50 autres années pour être ce que nous voulons : une union africaine prospère et digne.
Mme Oumou Dosso
Professeur de philosophie et de musicologie